On a passé une nuit avec "les chasseurs de loups" du Var (Série 2/3)
La Brigade d’Intervention Mobile (BMI) Loup de l’ONCFS est appelée en cas d'attaques récurrentes du loup. G.A.
Ce sont eux que l’on appelle lorsque les attaques de loups se répètent sur le même secteur. Armés de fusils et de lunettes à vision nocturne, les agents de la Brigade Mobile d'Intervention (BMI) Loup ont été missionnés, la semaine dernière, sur le camp de Canjuers, pour surveiller les troupeaux. Et abattre le prédateur, en cas d’attaque… Reportage au cœur de la "fabrique à loups" du Var.
La nuit tombe sur le plateau de Canjuers. Au loin, résonne le son des cloches balancées par le mouvement des brebis qui paissent tranquillement en haut de la colline. C’est le troupeau de Guillaume Fabre. A l’instar de ses collègues éleveurs, meurtris par les attaques à répétition du loup, le Varois ne compte plus les jours où il a découvert au petit matin des brebis égorgées et autres agneaux manquant à l’appel. Le plateau militaire de Canjuers est considéré comme "la fabrique à loups" du Var. D’après les derniers relevés de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), sept meutes (dont quatre sédentaires) sévissent actuellement sur le secteur. "En général, les attaques ont lieu à la tombée de la nuit", annonce ChristophePisi, le chef de la Brigade d’Intervention Mobile (BMI) Loup de l’ONCFS. Trois jours plus tôt, leurs collègues appelés à la rescousse dans le département voisin ont fait "coup double" dans les Alpilles grassoises. "Un premier loup a été tué le dimanche soir, un autre le lendemain sur le même secteur".
Christophe Pisi, chef de la BMI: "Les loups s’adaptent à tout. Donc à nous de nous adapter aussi." G.A.
En ce mercredi soir de pleine lune, Christophe Pisi est accompagné par deux jeunes agents. "Pas de nom, pas de photo pour eux", histoire d’éviter d’éventuelles représailles de la part des écolos les plus radicaux, nous signifie-t-on en substance. Bonsoir l’ambiance. C’est dire, en tout cas, si le sujet est sensible. On se contentera donc de "Pierre", "Pierrot", et le loup...
Soutenir le pastoralisme Tous deux ont le même profil : entre 25 et 30 ans, un BTS Gestion et Protection de la Nature ainsi qu’un permis de chasse obligatoire dans la besace. Pierre et Pierrot sont rentrés à la création de la brigade, il y a quatre ans. Leur mission première: "soutenir le pastoralisme". A première vue, on est à l’opposé du cow-boy des bois à la gâchette facile. On sent dans le discours comme dans l’attitude, un réel amour de la nature, de la flore et de la faune. La "passion" transpire jusqu’au bout de leurs jumelles à vision nocturne qu’ils sont en train de déballer...
"On est appelés quand il y a une récurrence d’attaques sur la même zone en quelques semaines. Sans cela, on n’a pas d’arrêté qui nous permet d’intervenir", cadre aussitôt Christophe Pisi. On est donc bel et bien dans le registre du "tir de défense renforcé" ; les tirs de prélèvement étant réservés notamment aux lieutenants de louveterie qui, eux, sont bénévoles. A la vue de la lune qui se lève, Pierre détend l’atmosphère : "C’est le loup-garou qu’on va voir cesoir…"Mais au fait ? Les Homo Sapiens que nous sommes doivent-ils craindre une attaque du Canis Lupus ? "Aucun risque par rapport au loup, mais plus par rapport aux chiens de troupeau qui font leur travail, rassure à moitié Christophe Pisi.C’est déjà arrivé que des agents se fassent mordre..."
"Chercher un bon linéaire" Arrive justement un gros patou sorti tout droit de la garrigue. Celui-ci a l’air plutôt sympa. C’est un montagne des Pyrénées, une espèce très prisée par les éleveurs pour assurer la défense de leurs bêtes. Quelques secondes plus tard, surgit dans la pénombre le "maître". "C’est toujours rassurant de voir la brigade veiller sur le troupeau", glisse Guillaume Fabre, la trentaine, éleveur de père en fils.
"Avec treize chiens, une barrière électrique et vous, ça devrait aller. On va pouvoir dormir un peu"
Mais la présence des agents de l’ONCFS ne lui ramènera pas les "dizaines de brebis perdues le mois dernier". Pour ce soir en tout cas, "ça (le) soulagera". "Avec treize chiens, une barrière électrique et vous, ça devrait aller, se persuade-t-il. On va pouvoir dormir un peu".
Ce soir-là, le troupeau est surveillé par treize patous. G.A.
Les agents, eux, ont fini de déployer leur matos. Il y a d’abord les caméras thermiques qui leur permettent de "repérer le loup à plusieurs centaines de mètres". "Un outil indispensable. Sans cela, précise Christophe Pisi,ce n’est pas la peine d’intervenir". Pour la phase de tir, ils peuvent compter sur des carabines avec "lunettes d'affût classiques de chasse". Mieux encore, la Brigade vient d’être récemment dotéede fusils équipés de lunettes thermiques qui permettent de "tirer sans éclairer même si la loi nous impose avant tout tir de procéder à un éclairage pour identifier l’animal, afin d’être sûr que c’est bien un loup dans le viseur". Jumelles en mains, Pierrot est aux aguets. "Il faut toujours chercher un bon linéaire pour avoir une vue dégagée". C’est le principe de la surveillance en poste fixe. "On doit trouver une zone d’observation assez ouverte, puisque quand c’est trop boisé, on ne voit rien à la lunette".
"En une semaine, on a toujours au moins un contact visuel ou sonore."
En général, les missions durent une semaine. "La plupart du temps, constate Pierre, c’est dans les deux premiers jours qu’on prélève, car après, notre odeur est trop présente". Il arrive parfois que les agents repartent "bredouille". "Mais en une semaine, prolonge Christophe Pisi, on a toujours au moins un contact visuel ou sonore."
Jumelles en mains, Pierrot est aux aguets. "Il faut toujours chercher un bon linéaire pour avoir une vue dégagée". G.A.
Mieux connaître la population
Le reste de l’année, la BMI (qui compte 14 agents au niveau national) se charge de former les lieutenants de louveterie (200 l’an dernier) et les chasseurs habilités à effectuer des tirs de prélèvement. Enfin, en dehors de ces nuits de veille, la brigade a aussi pour mission d’assurer le suivi de la population de loups. "Plusieurs fois par an, détaille Christophe Pisi, des agents partent dans les régions de France à la recherche d’indices de présence (traces, crottes, urines, poils...) ce qui nous permet de mieux connaître la population et d’avoir plus de connaissances au niveau génétique." S’il est difficile à apercevoir, le Canis Lupus est aussi une espèce imprévisible, dont le comportement varie, en fonction des zones et des individus. "C’est déjà arrivé vers Isola, qu’on en voit six en même temps", raconte le chef de la brigade. Mais ce n’est jamais la même histoire. "Parfois, ils sont seuls. De temps en temps, il y en a aussi un en éclaireur qui fait diversion avec les chiens pendant que les deux autres attaquent le troupeau. Ils sont capables de rester à l'affût deux heures sans bouger. Eux s’adaptent à tout. Donc à nous de nous adapter aussi."
"On a quand même affaire au super prédateur, tout en haut de la chaîne, qui n’a peur de rien, qui est hyper intelligent et s’adapte en permanence."
Quand ils parlent de leur proie, les agents de l’ONCFS le font toujours avec un mélange de respect et d’admiration: "On a quand même affaire au super prédateur, tout en haut de la chaîne, qui n’a peur de rien, qui est hyper intelligent et s’adapte en permanence", témoigne Pierrot.
La brigade compte 14 agents au niveau national. G.A.
50% de réussite au tir Pour l’heure - ça va faire trois heures que la brigade est en poste - pas de hurlement, mais quelques aboiements répétés. "On se sert aussi d’eux pour savoir repérer une attaque", chuchote Christophe Pisi. Mais ne parle pas le langage canin qui veut. "Il faut savoir comprendre leur mouvement". Et surtout, "être très réactif". Car, comme dit Pierre, c’est "une histoire de trois ou quatre secondes". Le temps que le loup apparaisse avant de disparaître dans l’obscurité. "C’est pour cela que le premier tir est toujours le plus important." Côté statistiques, la BMI enregistre une moyenne de "50% de réussite" au tir. Sachant qu’en général, le loup se trouve entre 100 et 200 mètres. Mais pas question d’ouvrir le feu n’importe comment. "On doit toujours être à proximité immédiate du troupeau, bien l’avoir en visu et n’intervenir qu’en cas d’attaque, insiste Christophe Pisi.c’est le cadre légal qui le prévoit".
"Il faut savoir comprendre le mouvement des chiens". Et surtout, "être très réactif". G.A.
Il est déjà 23 heures. Le thermomètre affiche -5°C. Malgré leur équipement, les trois agents commencent à sérieusement se cailler. "Je pense qu’on ne verra plus rien ce soir." La décision est prise de remballer. Et de revenir le lendemain. "Heureusement qu’on aime ça, commente Pierrot. Car c’est pas toujours facile de travailler la nuit dans le froid. Et puis même quand on rentre à la maison, on ne coupe pas vraiment... Il y a toujours des souvenirs qui reviennent." Comme si, eux aussi, étaient hantés par le loup. Cette nuit-là en tout cas, le prédateur ne s’est pas montré. Les brebis ont dormi tranquille.
La Brigade vient d’être récemment dotée de fusils équipés de lunettes thermiques qui permettent de "tirer sans éclairer même si la loi nous impose avant tout tir de procéder à un éclairage pour identifier l’animal." G.A.